Naissance de Finance Watch, une organisation de contre-pouvoir au lobby financier

, par Ekkehart Schmidt

Nous avons plusieurs fois évoqué dans nos précédents articles traitant de la nécessaire régulation des marchés financiers l’énorme déséquilibre d’expertise sur la situation et de poids politique entre la société civile et les lobbys de la finance de marché. Les choses sont en train de changer avec la fondation de Finance Watch en avril 2011, une agence européenne créée à l’initiative de l’eurodéputé Vert Pascal
Canfin qui explique sa démarche :

« Dans le domaine de la finance, le lobbying des ONG est inexistant à Bruxelles. Elles sont axées sur des campagnes thématiques, environnementales par exemple. Elles obtiennent souvent un vrai succès public mais ne peuvent pas veiller à ce que leurs préoccupations soient intégrées au coeur des textes. Il n’existe aucun lobby venant contrer les arguments développés par celui du secteur financier qui est très efficace et très présent. Compte tenu du poids de ce secteur, c’est un vrai problème démocratique ».

Au même titre d’une ONG comme Greenpeace, mais dans un domaine bien différent Finance Watch aura principalement trois objectifs : d’abord un travail d’expertise réalisé par des experts indépendants, spécialistes des questions financières : en effet, la seule information qui est soumise aux décideurs politiques est souvent issue uniquement du secteur financier, ce qui a eu des conséquences dramatiques avec des renflouements de banques avec l’argent du contribuable sans aucune condition. Ensuite, Finance Watch aura une mission de lobbying auprès de la Commission et du Parlement européen pour contrer le travail d’influence permanent des banques. Quand on constate les moyens considérables dont ils disposent, il y a une vraie urgence démocratique à rééquilibrer les choses.

Rien que pour les Etats-Unis - qui imposent l’enregistrement des dépenses de chaque lobbyiste contrairement à l’UE - le lobby financier est le secteur économique le mieux représenté avec… 4.406 milliards de dollars dépensés entre 1998 et 2010, soit 121 % du total des dépenses publiques effectuées par les Etats Unis en 2009 (source : ONG Open secrets). Le lobby bancaire finance largement les campagnes des deux partis de gouvernement aux Etats Unis, et celle de Barack Obama n’a pas fait exception à la règle. Enfin, il y aura un travail de communication auprès du grand public, pour faire pression sur les élus et susciter des débats sur toutes les questions liées à
la finance.

On le voit bien aujourd’hui dans le travail d’élaboration de nouvelles régulations européennes, on souffre de ne pas avoir de vrai débat dans l’opinion publique, même si les choses changent peu à peu. Sur les questions sensibles que représentent les OGM ou l’usage du nucléaire civil, les citoyens ont accès aux arguments des industriels comme des ONG environnementales : des organisations comme-
ATTAC effectuent ce travail dans le domaine financier mais elles n’ont ni les moyens humains, financiers ni la couverture médiatique d’ONG comme Greenpeace pour diffuser leur contreexpertise.

Si les citoyens savaient que plus de la moitié des bénéfices du secteur financier est réalisée sur des opérations de marché et non sur les prêts aux entreprises et aux particuliers, ils seraient certainement plus exigeants quand à la façon dont leur argent est investi !

Cette initiative a reçu le soutien de 30 organismes de tous bords et non des moindre puisque on trouve aussi bien des ONG environnementales comme les Amis de la Terre, des organisations syndicales européenne comme l’European Trade Union Confederation, des ONG de développement comme le CCFD ou Oxfam, des ONG altermondialistes comme ATTAC. 180 élus de tous bords politiques (nationaux et européens) ont signé une pétition de soutien à Finance Watch.

Pour le Luxembourg par exemple, tous les élus Verts luxembourgeois s’y sont joints comme on pouvait s’y attendre mais également les eurodéputés Charles Goerens (DP) et Robert Goebbels (LSAP), ce qui montre bien que les thématiques défendues par Finance Watch dépassent les questions partisanes. Pour éviter toute dérive, les statuts de Finance Watch interdiront que les députés signataires soient membres ou donateurs de Finance Watch. L’autre bonne nouvelle est que Finance Watch devrait bénéficier dès janvier 2012 d’un financement de la Commission européenne d’un million d’euros, ce qui représenterait la moitié de son budget.

Finance Watch devrait commencer ses activités encore cette année et recruter à terme six lobbyistes à temps plein. Il ne seront pas de trop pour s’attaquer à des sujets brulants comme la rémunération des cadres salariés du secteur financier, qui outre leur caractère choquant, ont une lourde responsabilité à eux seuls dans l’accroissement des inégalités en France (source : étude du site www.laviedesidees.fr), alors que les capitaux échangés à la Bourse de Paris ne sont en rien comparables à celles de Francfort ou de Londres. Les salaires des PDG des sociétés non financières ou des stars du football sont – à juste titre – décriées pour leur disproportions, mais ceux-ci ne pèsent rien par rapport au poids des salaires des cadres du secteur financier qui exerce de fait une ponction insoutenable sur la richesse produite dans le pays.

Un autre sujet brulant sera la question du traitement de la spéculation sur la dette des pays membres de l’UE, comme on l’a vu pour le cadre de la Grèce. Bref il y beaucoup de travail à réaliser, mais cette fois le combat sera un peu plus équilibré pour remettre la finance au service des besoins humains.

Plus d’infos ici

Photo : Protestation contre les expulsions de logements, conséquence de la crise des subprimes à Chicago : malgré la colère des citoyens américains, aucune réforme d’envergure n’a été votée pour encadrer le pouvoir du secteur financier (Crédit Photo : John W. Iwanski, licence Creative Commons)

Article du 20 juin 2011